Doug
Headline est-ce votre vrai nom ou bien un pseudonyme ?
Headline, c'est
une traduction en Anglais de Manchette, qui est mon vrai nom. Mon père, l'auteur
de romans noirs Jean-Patrick Manchette, avait lui-même utilisé avant moi le
pseudo Shuto Headline, ce qui signifiait Manchette en japonais et en anglais...
J'ai pris ce pseudo en 79 ou 80 quand j'ai commencé à travailler dans la presse,
pour ne pas lui piquer son nom ni profiter de sa notoriété sans l'avoir mérité.
Doug, ça vient de Douglas Fairbanks, un acteur du muet que j'aimais beaucoup,
qui avait un fils nommé lui aussi Douglas Fairbanks... et il me semble que
l'association des deux est un truc qui a été inventé avec Jean-Pierre Dionnet,
un beau jour à Métal Hurlant. Tout ça se perd un peu dans la nuit des temps...
Toujours est-il que le nom est resté, ça fait 25 ans que je le porte.
Quelle
formation aviez-vous à la base ?
J'ai
passé un Bac langues puis je me suis inscrit en DEUG et licence d'anglais et de
psycho (les 2 sujets en même temps). Je me suis tellement ennuyé en cours que
j'ai commencé à aller au cinéma plusieurs fois par jour. Du coup, je n'ai
terminé aucun diplôme mais j'ai vu beaucoup de films... C'est une formation
idéale si on veut écrire des LDVELH...
Pouvez-vous nous en dire plus sur vous-même et sur Dominique Monrocq ? Quel âge
aviez-vous à l'époque ?
Dominique Monrocq était comme moi un grand cinéphile, pilier de la cinémathèque,
et avait collaboré au fanzine de cinéma de Christophe Gans "Rhésus 0". Je crois
que c'est lui qui m'a présenté Christophe, d'ailleurs. Ensuite nous avons monté
tous ensemble le mensuel Starfix. Nous avions tous entre 20 et 22 ans en 1982.
Dominique a été secrétaire de rédaction de Starfix pendant la première période
où j'en ai été le rédacteur en chef (du n°1 au 9 je crois). Puis quand je suis
parti chez Hachette monter cette collection, je lui ai proposé de participer à
l'écriture des livres puisque je l'avais déjà vu à l'oeuvre et qu'il écrivait
vite et bien.
Comment en êtes-vous arrivé à écrire des LDVELH ?
En
tant que lecteur, j'avais eu un grand enthousiasme pour les premiers LDVELH
anglais, que j'avais lu dans l'édition Penguin, puis dans les premières
traductions Gallimard. Je me suis dit qu'il y avait un vrai genre littéraire à
ses balbutiements, une forme nouvelle et très stimulante. J'ai surtout apprécié
les Steve Jackson, mais il y a eu beaucoup d'autres tentatives intéressantes :
et je me suis demandé pourquoi on n'essaierait pas d'en écrire aussi en France,
un peu moins basés sur le jeu de rôle type D&D, et un peu plus "à la française".
La collection "Maître du Jeu" est une idée que j'avais proposée à Frédéric Ditis,
un grand éditeur de l'après-guerre aujourd'hui disparu, qui dirigeait à l'époque
le groupe Hachette littérature. Ce monsieur de près de 70 ans avait l'esprit
très ouvert, et l'idée de ces "livres dont etc..." de conception française,
fonctionnant sur des bases différentes de leurs équivalents anglais, lui avait
plu. De plus en 83 ou 84, la mode en battait son plein et Gallimard engrangeait
des millions avec cette formule qui enthousiasmait les lecteurs (plus de deux
millions de LDVELH vendus en France cette années-là si je ne me trompe...) Ditis
m'a donc mis en cheville avec Jean-Claude Dubost qui était à l'époque le
directeur de Hachette Jeunesse et est aujourd'hui devenu le directeur de tout le
groupe Havas Poche (Pocket, Fleuve Noir, etc...).
J'ai alors développé pour Dubost un certain nombre d'idées de séries, puis réuni
une équipe d'auteurs capables de rédiger les ouvrages. Parmi les idées,
certaines n'ont pas été retenues : je me souviens notamment d'un projet de série
à la "Elric le Nécromancien" avec une épée buveuse d'âmes... La liste des
propositions faites doit elle aussi exister quelque part. Deux idées lui ont
paru adéquates au lancement d'une "collection" : Le Prêtre Jean et
Superpouvoirs.
Vous étiez plusieurs auteurs sur chaque série, quel était votre rôle ?
Mon
rôle dans tous ces projets était d'être à la fois le co-auteur et superviseur de
tous les livres, le réviseur des manuscrits de tout le monde (un travail que
nous assurions avec Dominique Monrocq sur les LDVELH Haute Tension, la plupart
du temps), le dénicheur d'idées permettant de mettre en chantier de nouveaux
livres ou séries, et enfin le recruteur des collaborateurs destinés à collaborer
à la rédaction ou l'illustration des ouvrages.
Le travail de conception en groupe, qui consistait en joyeuses séances
d'échanges d'idées burlesques, était franchement drôle. Ensuite, selon les
bouquins, on se répartissait les tâches et on répartissait entre ceux qui
avaient envie d'écrire (car certains ne souhaitaient pas le faire) les
différentes parties d'un même livre. En dernier lieu, en général, Dominique et
moi, nous repassions sur les manuscrits pour unifier le style.
J'ai même fait acheter à Hachette quelques titres anglais ou américains qui sont
venus s'insérer dans les catalogues Haute Tension ou Livre de Poche, par
exemple la série anglaise Falcon (Epervier, en français), avec pour héros un
agent secret voyageant à travers le temps, qui était excellente. J'ai aussi
développé pour eux, avec François Marcela-Froideval, un gros projet de jeu de
rôle lié à des romans qui serait venu concurrencer "L'Oeil Noir", jeu allemand
doublé d'une série de romans qui marchait bien à l'époque. Ce projet-là ne s'est
jamais matérialisé.
Pouvez-vous nous
parler des origines de la série ? Le prêtre Jean mentionné dans la série est-il
le même prêtre Jean qui était censé avoir fondé un royaume paradisiaque et dont
parle Umberto Eco dans son dernier livre « Baudolino » ?
En
effet, le prêtre Jean est un personnage mystérieux que l'on retrouve aussi bien
chez Eco (je n'ai pas encore lu Baudolino) que chez Pierre Benoît, l'auteur de
"L'Atlantide" (qui le place en Afrique) ou chez Jack Kirby qui le fait
apparaître dans un épisode des Fantastic 4 de la fin des années 60... Sa
véritable identité est inconnue, mais au Moyen-Âge, les voyageurs occidentaux
qui revenaient d'Asie centrale (des moines franciscains en général) commencèrent
à rapporter l'existence d'un royaume mystérieux (parfois nommé Shangri-La) aux
richesses immenses dont le roi, le Prêtre Jean, était un Chrétien qui avait
converti tous ses sujets au christianisme. Ceci est vraisemblablement faux, et
il apparaît plutôt que le Prêtre Jean était Wang Khan, un noble mongol
contemporain de Genghis Khan (un des ses oncles je crois), qui s'était en effet
converti au christianisme (ce n'est toutefois pas une certitude). Mais la rumeur
en parvint jusqu'à la cour du Pape, et dans les siècles qui suivirent,
voyageurs, marchands et croisés cherchèrent en vain ce royaume chrétien en terre
barbare... Le mirage des richesses et l'alibi de la ferveur chrétienne ont suffi
à exciter l'imagination des aventuriers et des écrivains. Le nom du Prêtre Jean
a ressurgi ainsi périodiquement entre 1200 et 1900, sans qu'on ait jamais
vraiment élucidé sa vraie nature.
Le mystère qui entoure le personnage m'avait paru idéal pour le réinventer et
lui faire vivre un parcours "initiatique" (et parfois humoristique) à travers
trois continents, dans un Moyen-âge peuplé de légendes et de créatures
surnaturelles. Il s'agissait de faire un LDVELH non pas historique (il y en eut
quelques tentatives ennuyeuses vers la même époque) mais plutôt proche du "sérial"
ou du feuilleton. L'idée de l'Oeil magique, ainsi que la nature de croisé du
personnage, doivent d'ailleurs venir plus ou moins directement de la bande
dessinée de Stan Lee & Jack Kirby si je me souviens bien. Voilà pour les
origines.
Dans le volume 2, "L'oeil du sphinx", il existe un paragraphe où on tombait dans
une faille spatio-temporelle et on se faisait abattre par un hélicoptère. Par
contre apparemment pas un seul paragraphe n'y menait. S'agit-il d'une erreur ?
Eh
non. Il y a dans chacun des livres un paragraphe inaccessible que nous appelions
"l'entrée maudite" et où il était impossible de parvenir par un cheminement
normal, à moins de vraiment lire tout le livre en ligne droite de A à Z, ce qui
nous paraissait improbable (et un peu vain). Le paragraphe était donc en général
ridicule et décalé, tel ce pastiche de Rambo. C'était donc un gag réservé aux
lecteurs les plus acharnés comme ... vous !
Trois livres de la Saga du Prêtre Jean ne sont jamais parus. Qu’elle était la
suite des aventures du héros après qu’il quitte l’Inde dans le cinquième
volume ?
La
"saga du Prêtre Jean" était en effet conçue en 8 volumes. Après l'Inde,
l'itinéraire du héros se poursuivait dans le 6e volume en Chine (écrit par
Headline-Collin-Monrocq), dans le 7e au coeur des steppes d'Asie Centrale (écrit
par Headline-Pagel avec une rencontre avec Genghis Khan, etc) et se concluait
dans le 8e, intitulé "Shangri-La", au Tibet, dans le royaume de ce nom dont on
attribue souvent la création au Prêtre Jean.
Tous ces livres ont été laissés dans des états d'avancement divers. Je crois
qu'un manuscrit presque complet du volume 6 existe. Le 7e volume doit vaguement
exister à l'état de découpage, comme le dernier qui me semble avoir été
davantage travaillé puisqu'il était l'aboutissement de la série et que des
personnages et des objets glanés dans les 7 volumes précédents devaient y faire
leur réapparition. (C'est à peu près ce qu'avait fait je crois Steve Jackson au
dernier tome de son excellente série en 4 tomes "Sorcery").
Avez-vous déjà
songé à essayer de ressortir la Saga du Prêtre Jean et de la terminer ?
J'avais essayé il y a 10 ans de décider l'éditeur italien de la Saga à financer
la suite (car la série marchait bien là-bas) mais cela n'avait finalement rien
donné.