Pouvez-vous nous parler un peu de deuxième série parue chez Haute Tension "Superpouvoirs" ?
En
parallèle au Prêtre Jean, nous avions aussi publié en "maître du jeu" 2 volumes
de la série "Superpouvoirs" qui devait se conclure dans un 3e tome, lui aussi
découpé et "scénarisé". Là aussi, il existe des brouillons ou textes
préparatoires. Cette série, très inspirée des comics américains, me plaisait
bien puisque l'on pouvait s'y composer soi-même un personnage de super-héros à
la Marvel, en combinant plusieurs pouvoirs à choisir dans tout un arsenal : super
force, vision nocturne, métamorphose, etc, etc. Nous avions même lancé un
concours auprès des lecteurs pour qu'ils nous dessinent le super-héros qu'ils
s'étaient ainsi créé, les créations plus originales remportaient un prix. Il y a
eu plusieurs milliers de réponses !
Ces
livres-là n'étaient pas mal du tout, les constructions étaient plus
sophistiquées et le ton plus humoristique voire franchement délirant par
moments. Superpouvoirs 3 devait inclure une scène mémorable de sacrifice de
gorille à bord d'un train en marche où se déroulait un bal costumé... d'où
confusion entre les passagers déguisés en gorilles et en super-héros et le vrai
gorille et les vrais super-héros... je sais, ça a l'air absurde, mais je ne
plaisante pas. Nous avions pris de l'assurance et ça devenait vraiment de mieux
en mieux je crois, dommage qu'ils nous aient déboulonnés à ce moment-là.
Pourriez-vous me dire pourquoi ces séries se sont arrêtées ? S'agit-il d'un
souhait de votre part ou d'une volonté de l'éditeur ?
Les
livres marchaient très bien (en moyenne 50 000 exemplaires vendus par titre)
mais Dubost a été victime du "turnover" des dirigeants de grands groupes. Il a
quitté Hachette et a été remplacé à la tête de Hachette Jeunesse par un autre
éditeur, B. Hessel, venu du secteur commercial, qui, lui, ne croyait pas du tout
aux LDVELH.
Les
deux séries précitées ont donc été arrêtées, ainsi que trois autres toutes
neuves que nous venions de lancer en 85 (avec de nouveaux auteurs qui avaient
rejoint le groupe) au Livre de Poche jeunesse : Sinbad (signé
Headline-Pagel-Gordon, 1 volume paru), Légendes et maléfices (signé
Headline-Salvetti, 1 volume paru), et La Loi du Sabre (signé Headline-Cambier-Verhoest, 2 volumes parus). Là encore, je crois qu'un 3e
Loi
du sabre et surtout un 2e Légendes et Maléfices (excellent !) étaient finis (et
même déjà illustrés) et sont restés dans les cartons ! (Petite erreur de Doug
Headline, le 3e Loi du Sabre a bien été édité,
voir içi).
Enfin, j'avais développé avec Hélène Amalric, à présent directrice de J'ai Lu,
qui était alors l'assistante du directeur du Masque, une série de romans
interactifs pour adultes qui devaient sortir sous la marque Livre de Poche et
pour laquelle plusieurs titres ont été écrits et jamais publiés : une aventure
journalistique signée par Rémi Favret, grand reporter à Match et au Figaro,
aujourd'hui malheureusement disparu, un polar signé Michel Pagel sur le thème du
jeu du Killer, une course-poursuite comique signée par Karl Zéro, une énigme en
chambre close signée Stéphane Salvetti, et je dois en oublier. Tous ces livres
existent à l'état de manuscrit complet ou d'épreuves mises en page. Dommage que
personne n'ait eu la chance de les lire, un jour peut-être...
Le
dirigeant de Hachette qui décida de jeter ces manuscrits au feu et d'arrêter
totalement ce qu'il appelait "les interactifs", a manifesté un manque de
clairvoyance frappant, puisque les LDVELH ont continué à se vendre chez
Gallimard, certes avec des ralentissements, mais toujours avec succès.
Malheureusement pour nous, notre travail a fait les frais de sa courte vue.
Avez-vous une anecdote particulière de cette époque ?
L'immeuble Hachette occupait alors le pâté de maisons qui fait l'angle du
boulevard Saint Germain et du boulevard saint Michel, devenu maintenant la FNAC
digitale. Nous y travaillions comme des forcenés, planqués dans un petit bureau
tout au fond d'un couloir, à côté du local où les femmes de ménage entreposaient
leurs outils de travail, alternant réunions de travail nocturnes, parties de
Donjons & dragons et séances d'écriture frénétiques. Une nuit, les pompiers de
service de l'immeuble nous ont trouvé, Dominique Monrocq et moi, en train de
marteler deux machines à écrire vers 6h du matin pour terminer un texte de Super
Pouvoirs qui devait partir le lendemain chez l'imprimeur. Ils nous ont déclaré
que voir quelqu'un travailler toute une nuit dans l'immeuble, ce n'était jamais
arrivé avant dans l'histoire de Hachette (je suppose tout de même qu'ils se
trompaient)...
Bref
ce fut une période très agitée mais très joyeuse...
Quelles sont les raisons pour lesquels les LDVELH chez Haute Tension se sont
arrêtés et se sont poursuivis chez le Livre de Poche ?
C'était une décision de politique commerciale prise chez Hachette. Cela a
correspondu à un souhait de leur part d'étoffer le catalogue du Livre de Poche
Jeunesse en le tirant vers des tranches d'âge de lectorat plus élevées, et de
déshabiller un peu la marque Haute Tension, qui était une création de Dubost et
dont son successeur voulait se débarrasser. Il y a eu une longue étude marketing
menée sur ce sujet, avec pour résultat le lancement de ces nouvelles séries en
Livre de Poche, mais tout s'est arrêté trop vite pour connaître le potentiel réel de cette
nouvelle formule. Dommage, car la maquette Livre de Poche était plus agréable que celle de
Haute Tension.
Avez-vous des articles de presse de l’époque concernant vos LDVELH ?
J'ai
quelque part tout un gros dossier de presse sur nos séries de livres-jeux qui
avaient remporté des critiques élogieuses, étrangement, y compris dans des
supports non spécialisés comme France Soir ou le JDD...
Je
me souviens même que Dominique et moi sommes passés à la TV dans une émission de
l'après-midi présentée par Jean-Claude Narcy, où la fièvre des livres dont vous
êtes le héros était abordée avec un grand sérieux par des gens qui ne
comprenaient absolument pas de quoi il s'agissait... Absurde. J'aimerais bien
avoir la VHS!
A la
même époque nous avons fait avec Karl Zéro des pilotes d'émissions de radio
interactives sur le même principe pour Europe 1 et RTL. C'était hilarant, tout
le monde voulait de l'interactif, ce fut une vraie une mode pendant quelque
temps.
Avez-vous rencontré d'autres auteurs de LDVELH étrangers ou français (Jackson, Livingstone, Dever, Brennan,
etc ...) ?
Simplement croisé une fois Jackson à l'occasion d'un salon du livre à Paris, je
crois. On a été présentés et ça n'a pas été beaucoup plus loin ; il m'a semblé
qu'il avait le sentiment que tous les autres auteurs qui s'essayaient à ce type
de livre lui avaient piqué son idée et qu'il était la seule personne capable
d'écrire de bons LDVELH. Peut-être qu'il avait raison…
Qu'avez-vous fait après l’arrêt des LDVELH par Hachette ?
J'ai
attendu que quelqu'un me demande de continuer la saga du Prêtre Jean.
Mais
non je plaisante...
J'ai
beaucoup travaillé dans la presse de 85 à 90 : Actuel, Rock & Folk, Libération,
The Face, etc. et à la radio : un an et demi d'une émission hebdomadaire de 2h
que j'animais avec Karl Zéro "Géant Gratuit" sur Europe 1. En 87, j'ai monté une
maison d'éditions de BD, les éditions Zenda, qui ont publié 130 albums (dont un
certain nombre étaient bons...) allant d'une intégrale Prince Valiant aux
Chroniques de la Lune Noire de Froideval et Ledroit ou aux premiers albums de
Stan & Vince. J'ai écrit le scénario de quelques albums de BD. J'ai traduit un
petit paquet de romans, et une énorme biographie de Clint Eastwood parue aux
Presses de la Cité. Je suis revenu comme rédacteur en chef à Starfix en 89 et
resté jusqu'à la fin du journal, en 90. J'ai écrit un livre sur l'acteur James
Stewart aux éditions Veyrier en 91 et un recueil d'entretiens sur le réalisateur
John Cassavetes en 93 aux éditions Ramsay. En 1992 j'ai commencé à réaliser avec
mon ami Dominique Cazenave des documentaires cinéma pour Canal + : portraits de
John Cassavetes, Jeanne Moreau, Lino Ventura, Bernard Blier, Claude Chabrol,
etc... En 1994 j'ai lancé pour les éditions Payot & rivages les collections
Rivages Fantasy et Payot SF où j'ai publié une soixantaine de romans
fantastiques, de fantasy ou de SF (Clive Barker, Tad Williams, Robert Jordan,
Jack Vance, etc).
En
1996, en voyant Crying Freeman de Christophe Gans, je me suis dit que si
Christophe avait eu le courage de se battre pour faire du cinéma et était
parvenu à réussir un si beau film, je devais me secouer et essayer de faire un
film, puisque c'était ma vraie passion. J'ai donc arrêté les documentaires en 97
et commencé à écrire des scénarios, qui ont failli se tourner quelques fois mais
étaient trop chers, trop "film de genre", etc. Pour passer enfin à l'action,
j'ai réalisé un court-métrage en 99, puis rencontré un producteur sympathique
qui cherchait un film d'épouvante à petit budget pour les jeunes. Après m'être
vu refuser plusieurs sujets, puis un premier script complet, jugé trop
sophistiqué, je me suis dit que si je voulais tourner, il fallait se plier à la
commande. Alors, avec mon co-scénariste Benoît Lestang, nous avons revu les
objectifs artistiques à la baisse en fonction des souhaits du producteur et du
distributeur, et en 2002 cela a donné le film Brocéliande...
Avez-vous d'autres projets de réalisation ?
A
l'automne, un épisode d'une nouvelle série fantastique pour la télévision, et
ensuite, un deuxième long-métrage qui sera sans doute tiré d'un des romans noirs
de mon père. J'aimerais continuer à écrire ou réaliser des films de genre de
toute sorte, film noir, fantastique, épouvante, SF, western, aventures,
espionnage, etc… Mais en France il est vraiment difficile de trouver à financer
les films de cette nature. Il y a une foule de sujets que j'aimerais traiter,
mais fabriquer un film est infiniment plus compliqué que fabriquer un livre,
cela demande tellement d'argent et la participation de tant de gens qu'à chaque
fois, ça tient du miracle. J'espère avoir la chance d'en refaire, mais pour cela
il faut trouver les bons producteurs. Je les cherche...
Quels sont vos projets futurs ?
Continuer à travailler dans le cinéma et, peut-être en alternance, l'édition,
mener une vie de famille à peu près normale, et gagner un peu moins mal ma
vie...